La scène a tout d'une photographie : toute la journée, Jean-Luc Mélenchon est au premier rang d'un amphithéâtre de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Lunettes sur le nez, sourcils froncés, il écoute et prend des notes. Souvent, il hoche la tête. Parfois, il semble agacé. Il est venu « exposer loyalement à la vérification » ses positions et son programme en matière de défense.
Pour l'occasion, le Parti de gauche a invité samedi 1er février une douzaine d'orateurs. Certains sont des membres actifs de la gauche de la gauche, fidèles de Jean-Luc Mélenchon ou membres du Parti communiste. D'autres détonnent plus dans le paysage... Le général Vincent Desportes, ancien directeur de l'École de guerre, connu pour ses prises de positions engagées en matière de politique militaire ; l'amiral Jean Dufourcq, animateur de la Revue défense nationale (RDN) ; ou encore Laurent Henninger, historien très familier des cercles de réflexion sur les questions militaires.
Tout ce petit monde a-t-il été récupéré par les « coco' » ? Il semblerait pourtant bien que non. Le général Pierre-Dominique d'Ornano, membre des Sentinelles de l'agora, un mouvement de colère emmené par des officiers généraux de seconde section que l'on positionne plutôt très à droite de l'échiquier politique annonce la couleur en entamant son intervention : lorsqu'il a prévenu son épouse qu'il venait à pareille assemblée, « elle s'est mise à égrainer son chapelet ».
Sentiment d'urgence
Les officiers généraux qui se relaient au fil des tables rondes dressent un bilan dramatique. Nous assistons à un « étrillage historique des militaires au sein de notre population », note l'amiral Dufourcq. « Le démantelement de l'institution militaire arrive à son terme », diagnostique le général d'Ornano. « Le pire n'a pas été évité », assure enfin le général Desportes, dénonçant une « paupérisation globale des moyens ».
« Pour nous, c'est un point de départ », se félicite un Jean-Luc Mélenchon satisfait en fin de journée. Le bilan est plutôt bon pour lui. Les intervenants ont tous confirmé la grogne généralisée face aux réformes dans les armées. Surtout, personne n'a contesté radicalement sa vision de la défense. Elle a en effet tout pour plaire à des militaires qui voient leur budget réduit à peau de chagrin et leurs effectifs découpés à la hache.
Car pour Jean-Luc Mélenchon, la défense n'est question ni de moyens ni de budget. Il s'agit avant tout pour lui d'établir la liste des besoins. Le portefeuille suivra. « À nos yeux, explique le patron du Parti de gauche, la doctrine est première. Il faut revenir aux réalités du monde. Cela n'a rien à voir avec ce Livre blanc. »
Ce qu'appelle le député européen de ses vœux, c'est le retour à une France et à une défense nationale souveraines. La sortie de l'OTAN lui paraît être le meilleur moyen d'échapper à l'influence américaine et à une dépendance vis-à-vis d'intérêts qui concernent surtout Washington. Car pour lui, ceux de Paris sont ailleurs. Ils sont par exemple en Amérique du Sud, où nous trouvons notre plus grande frontière avec un pays étranger, le Brésil, via la Guyane. Jean-Luc Mélenchon propose une France tournée vers de nouveaux horizons stratégiques : « la mer est le lieu prochain de l'expansion humaine » ou encore « dans l'espace se joue une partie de la sécurité terrestre ».
Dépasser l'antimilitarisme traditionnel de gauche
Au Parti de gauche, la moindre des choses est de dire que les militants ne sont pas familiers avec les questions de défense. Beaucoup continuent de baigner dans des préjugés éculés. « L'armée c'est de droite, comme l'Éducation c'est de gauche », ironise Djordje Kuzmanovic, membre du bureau national en charge des questions de défense.
Ce consultant indépendant, qui a participé à plusieurs opérations comme officier de réserve, mise avant tout sur la pédagogie pour mobiliser ses « camarades ». « Il y a deux ans, on était en slip », admet-t-il très franchement. Mais il est certain de pouvoir rapidement convaincre : « Ça intéresse les gens quand on en parle. » Sa commission défense compte 120 membres, dont 20 à 30 qui se montrent très actifs. Alors il va de réunion en réunion et de ville en ville pour proposer aux militants une petite formation : deux à trois heures pour les sensibiliser aux enjeux... et casser les idées reçues.
Jean-Luc Mélenchon aussi admet « beaucoup d'idées préconçues » dans les rangs du Parti. Lui s'intéresse au sujet de longue date, en siégeant dans les commissions concernées au Sénat ou au Parlement européen. « Il y a toujours été intéressé parce qu'il veut gouverner », remarque Djordje Kuzmanovic. Et le président du Parti de gauche de raconter une anecdote lors du Congrès national. Les militants y proposent une motion pour interdire les industries de défense et la votent avec un grand enthousiasme. À son retour, Mélenchon s'insurge : « Mais quand nous serons au pouvoir, nous ferons quoi ? Nous achèterons des Sukhoï aux Russes ? Nous avons besoin de Rafales ! » Reste à voir si son discours saura rassurer et convaincre des militaires et des industriels, pour qui l'horizon reste bien sombre. Le Parti de gauche semble en tout cas bien décider à s'y employer.
Crédit photo / Pierre-Selim (licence CC BY-SA 3.0)